La Super Nintendo

Je suis assez sceptique, ça m'étonnerait que les choses se soient passées ainsi. Déjà, ce n'est pas en 1988, mais en septembre 1987 que Yamauchi a dévoilé au Japon le développement de la Super Nintendo, soit un an avant la sortie de la Mega Drive au Japon, un mois avant la sortie de la PC Engine au Japon. Vu le contexte, cette annonce ne semble pas si étonnante : la Famicom était sortie il y a tout juste quatre ans au Japon, les jeux d'arcade en étaient déjà à la "génération 16 bits" depuis 1985 environ, l'ordinateur X68000 de Sharp commençait à pointer le bout de son nez (sortie en mars 1987) et était tellement puissant qu'il allait faire office de plate-forme de développement pour les futurs jeux 16 bits (arcade comme consoles). Là, je ne parle que du Japon, car côté occident, bien entendu, on avait les nouveaux ordinateurs 16 bits tels que l'Atari ST et l'Amiga qui commençaient à apparaître dès 1985. Bref, en septembre 1987, les jeux 16 bits étaient déjà là depuis au moins deux ans, donc il valait mieux pour Nintendo commencer à évoquer le futur 16 bits au niveau de leurs consoles.

Ensuite, je ne crois pas qu'au départ, Sega préoccupait tant Nintendo que ça, dans la mesure où leurs consoles ne fonctionnaient pas trop jusque-là : à cette époque, Sega restait avant tout l'un des maîtres de l'arcade et faisait de la figuration au niveau des consoles de jeux. Au Japon, ce qui marchait, c'était d'abord la NES (de loin, la machine a terminé à environ 19 millions au Japon), ensuite les MSX (officiellement des micro-ordinateurs, mais considérés par les joueurs japonais comme des "consoles", vendus au total à 5 millions au Japon, contrairement à la "trinité NEC-Sharp-Fujitsu" qui sortaient de "vrais ordinateurs" - ils considéraient les MSX comme "l'union des faibles" - véhiculant une image plus "sérieuse", professionnelle, et sortant du cadre strict du jeu vidéo, donc ne jouaient pas dans la même cour que les consoles et les MSX), Sega étant loin derrière encore avec sa Master System (vendue à environ 1 million au Japon, et ce n'était pas beaucoup mieux aux Etats-Unis où la console a terminé à 2 millions environ - certes toujours mieux que les MSX qui ont été un échec cuisant aux Etats-Unis - et pouvait se retrouver en concurrence avec d'autres ordinateurs populaires là-bas comme ceux d'Apple, de Commodore et d'Atari). Ne parlons pas de la SG-1000 encore plus anecdotique au niveau des ventes. Bref, Sega était encore un géant de l'arcade, mais un nain sur le marché du jeu vidéo domestique (consoles/ordinateurs familiaux).

Vient ensuite l'année 1988 : bah, là encore, Sega ne représentait pas encore grand chose sur le marché des consoles... sauf en Europe. Et pour cause : la Master System et la NES sont sorties à peu près en même temps en Europe (voire le même mois en France), donc c'est c'est sûr que là, Sega avait une carte à jouer pour l'Europe (et là encore, selon les pays européens, les MSX étaient soit un petit succès d'estime, soit un échec cuisant, tandis que Commodore, Sinclair et Amstrad récoltaient un certain succès selon les pays européens). Mais bon, l'Europe constituait encore un tout petit marché pour les consoles par rapport au Japon et surtout aux Etats-Unis, des pays où la Master System avait été un échec, donc le petit succès de Sega en Europe n'avait pas trop de quoi faire trembler Nintendo. Par contre, le danger pour Nintendo au Japon était ailleurs : NEC/Hudson Soft avait dégainé le premier avec sa PC Engine sortie en octobre 1987 au Japon, mais qui a commencé à décoller au Japon surtout après la sortie de l'extension CD-ROM² chez eux en décembre 1987, donnant lieu aux premiers jeux consoles sur support CD.

Côté Sega, ils ont sorti la Mega Drive au Japon vers octobre 1988... à peu près en même temps que Super Mario Bros 3 sur Famicom, donc autant dire que le lancement a été une cata pour Sega à cause de ce jeu de Nintendo ! Du coup, Sega a eu beau batailler, la Mega Drive au Japon a été largement dominée par la Famicom de Nintendo, mais aussi par la PC Engine de NEC/Hudson Soft (ces derniers ayant tiré leur épingle du jeu avec le support CD-ROM qui était une vraie bouffée d'air frais, avec des jeux d'apparence "next gen" comme le fameux Tengai Makyou Ziria qui, avec ses cinématiques, musiques qualité CD et doublages audio, ringardisait les RPG 8 bits de la concurrence et même ce qui sortait comme RPG au départ sur Mega Drive - le RPG étant alors un genre très populaire au Japon et qui a ensuite fait cruellement défaut à la Mega Drive pour qu'elle se vende bien au Japon). Plus tard, à partir de fin 1991, la Mega Drive de Sega a eu un regain d'intérêt au Japon grâce au Mega CD (qui concurrençait davantage la PC Engine que Nintendo, et rajoutait pas mal de RPG plus impressionnants visuellement et sur l'audio), mais la Super Nintendo était déjà sortie là-bas un an avant et Sega est toujours resté loin derrière. Nintendo s'était bien rendu compte que la NES CARTONNAIT jusqu'à la fin des années 80, donc ils n'étaient pas pressés de sortir tout de suite la Super Nintendo (seulement novembre 1990 au Japon, ils avaient peut-être été eux-mêmes surpris par le succès toujours éclatant de la Famicom jusqu'en 1990, pour une console sortie en 1983, mais aussi par le carton de la Game Boy sortie en 1989, eux qui avaient peut-être prévu de sortir la Super Famicom plus tôt avant de repousser éventuellement sa sortie à plus tard à cause de ces deux gros succès).

En résumé, Yamauchi a annoncé le développement de la Super Famicom en septembre 1987 sans doute pour les raisons que j'ai citées (les 16 bits étaient déjà là depuis au moins deux ans), a accéléré le mouvement en 1988 et 1989 davantage à cause de NEC/Hudson Soft que de Sega, même si je pense quand même qu'ils ont dû prendre la chose en considération car après la PC Engine (partiellement 16 bits), la Mega Drive était la deuxième console "16 bits" à sortir et que le retard technique de la NES allait bientôt devenir trop grand pour l'ignorer. Mais ce n'est pas la situation en occident qui a beaucoup plus motivé Nintendo à mon avis, vu que la Mega Drive est sortie aux Etats-Unis seulement en août 1989 (la NES dominait toujours là-bas) et que la console a décollé Outre-Atlantique surtout à partir de Sonic the Hedgehog en 1991 (et aussi l'arrivée d'un nouveau PDG chez Sega of America, du nom de Tom Kalinske, ayant fait bouger les choses là-bas). C'est là, en 1991, soit la même année que la sortie de la Super Nintendo aux Etats-Unis, que la Mega Drive a vraiment décollé aux Etats-Unis, donc je pense que c'est seulement à ce moment-là que Nintendo a dû commencer à flipper face à Sega qui leur volait des parts de marché aux Etats-Unis. Et en Europe, même chose, voire encore pire vu que Sonic the Hedgehog était sorti en Europe un an avant la Super Nintendo. Un Sega qui n'était désormais plus un nain sur le marché des consoles, sauf que ça sûrement dû influencer Nintendo nettement plus après la première sortie de la Super Famicom qu'avant sa sortie.

En fait, Nintendo s'est surtout fait avoir par Sega et le marché occidental qu'ils avaient un peu trop sous-estimés, donc ils se sont fait distancer plutôt que d'avoir anticipé Sega selon moi, car ensuite, chez Nintendo, ils ont dû ramer pour renverser la donne en occident (sans pour autant dominer Sega de manière écrasante non plus). Mais c'est aussi l'époque (1992-1994) où les consoles se sont dorénavant imposées en occident pour le jeu vidéo domestique, Atari et Commodore étant alors en perte de vitesse sur le marché des ordinateurs et le PC/DOS commençant enfin à convaincre pour le jeu vidéo et à s'imposer petit à petit dans les foyers...