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Les frères Dardenne : La caméra psychologique dans le réel

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Les frères Dardenne : La caméra psychologique dans le réel

« Le cinéma de fiction est dans son principe beaucoup moins illusoire et beaucoup moins menteur que le cinéma dit documentaire parce que l'auteur et le spectateur savent qu'il est fiction, c'est-à-dire qu'il porte sa vérité dans son imaginaire. Par contre le cinéma documentaire camoufle sa fiction et son imaginaire derrière une image reflet du réel. »
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Edgar Morin, philosophe
(1980)
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La caméra à l'épaule est une des techniques de l'esthétique des frères Dardennes. Elle consiste à une image constamment en mouvement, qui permet une grande liberté d'action et de recadrage sur les gestes, les acteurs et les objets. Le choix de ce type de tournage est dû à un budget serré, une raison économique, mais aussi parce qu'ils se veulent proche du réel, proche d'une esthétique du documentaire. Nous pouvons donc les rattacher au Cinéma direct, entre autre le travail des documentaristes Frederick Wiseman et Richard Leacock.

Le travail d'un documentariste consiste à rendre compte d'une réalité. Dans le travail de fiction, nous devons créer cette réalité, qui deviendra la réalité du film, fictive. Les frères Dardenne venant tout d'abord du documentaire, après une mauvaise première expérience, décident d'appliquer le schéma du documentaire à la fiction. Il vont présenter un univers réel avec des éléments de la fiction. Il s'agit d'une reconstitution du réel, mais le fait de ne pas avoir d'acteurs professionnels, de ne pas tourner en studio et d'utiliser la caméra à l'épaule rend le sujet, plus prenant car moins artificiel. La caméra, bougeant, tremblant même se déplace des fois dans des environnements étroits comme le magasin dans Le fils ou la caravane dans Rosetta, et possède une grande liberté d'action, cependant il y a quelque chose de faux dans ce procédé. En voulant s'éloigner de la fiction, ils s'en rapproche par le cadre de la caméra.

Dans le film « Rosetta », nous sommes très très proche de la jeune femme. C'est étouffant pour le spectateur. On a même des fois du mal à suivre les actions, c'est si proche qu'ils ne peuvent pas recadrer à temps s'il y a quelque chose qui se passe pour que le spectateur puisse voir la scène dans son ensemble de plus vaste recadrer pour que le spectateur voit la scène dans son ensemble. Il s'agit d'une caméra qui filme une personne qui part à la guerre. La caméra est très proche de l'acteur, on ne nous laisse pas d'espace pour respirer tout comme la société ne laisse pas d'espaces aux personnages du film. Plus la vie est dure pour les personnages des frères Dardenne, plus la caméra est proche.
Elle est aliénée par sa recherche de travail et la caméra travaille cette aliénation, une dépossession de l'individu. En fait, il y a une dépossession sur trois niveaux : Rosetta, la caméra et le spectateur. Rosetta est sujette à des pressions de cette réalité fictive du film qui l'aliène dans sa recherche de job, elle transmet à la caméra cette aliénation, la caméra est très proche de Rosetta et certaine fois ne filme même plus le visage de Rosetta, ni les réactions des autres personnages, mais les gestes de Rosetta, comme si le spectateur regardait ses propres mains faire ce même geste, même chose dans Le fils pour les gestes de meunuiserie. C'est par les actions qu'on juge la personne, et non pas par sa parole. De ce fait, en obstruant la moindre identification aux autres personnages, et en forçant le spectateur à suivre Rosetta et à s'identifier à elle, le spectateur est dépossédé de sa personne pendant le temps du film. Il y a des plans qui reviennent régulièrement chez les frères Dardenne, dont des plans de dos. Ils pourraient évoquer une sorte d'introduction au personnage avant que le spectateur ne rentre à l'intérieur de son corps, de sa vie.
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Spoiler

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A l'inverse dans des films comme La Promesse, L'enfant ou Le Silence de Lorna, la caméra prend de la distance. Dans L'enfant, Jérémie Renier est un être qui flotte, qui n'a pas d’obsessions comme dans Rosetta, c'est une personne dans l'instant, donc c'est mieux de le voir dans son environnement, de ne pas être dans cet être. Dans un enregistrement, Jean-Pierre et Luc Dardenne s'expliquent à propos du Silence de Lorna1 :
« On voulait dès le départ pouvoir regarder Lorna, l'enregistrer l'observer plus que de la suivre et d'être dans son mouvement, non de regarder son mouvement parce que c'est compliqué. » Dans le Silence de Lorna, c'est le même principe que dans Rosetta, une personne qui veut s'en sortir, mais c'est moins étouffant, il y a plus d'espace entre nous et le personnage. La caméra est plus stable, car plus de secrets. Elle est plus silencieuse, donc la caméra prend ses distances. Elle réagit à la psychologie du personnage et s'adapte à son objet filmé.
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La Promesse propose plus de choses issues de la fiction que les films réalisés après lui :
un découpage de l'action plus systématique, des effets de montage, des Champ-contrechamps, des plans subjectifs (regard de Igor sur Assita), un effet sonore, on entend la voix de du père à travers le combiné. Des plans pour narrer comme le plan d'ensemble. Il y a plus d'artifices. Nous pouvons rapprocher ce film à It's a free World de Ken Loach puisqu'il s'agit également du travail au noir d'immigrés.

Les Dardenne essaient le plus souvent de faire des plans séquences pour éviter les coupures, ils recadrent les actions importantes pour garder l'unité de la scène et des sentiments, ils vont et viennent entre le 16 et le 35 millimètres qui leur permet de faire respectivement des plans de 10 et 5 minutes.
La caméra a du mal à trouver sa place dans l'univers réel. Elle cadre des fois avec maladresse les actions (menuiserie dans Le fils, quand Sonya s'effondre dans L'enfant, la course poursuite avec Rosetta et Riquet). Il y a beaucoup d'actions hors champ qui ne sont pas filmées. Les Dardenne mettent d'abord leur univers réel en place et ce n'est qu'après qu'ils font intervenir leur caméra. Ce n'est pas la caméra qui dicte à l'univers ce qu'il doit faire. Elle doit prendre en compte les mouvements et actions et pas ordonner. C'est la question du cadre en mouvement ou fixe. C'est la question de ceux qui croient dans le réel et ceux qui croient dans l'image pour reprendre les dires de André Bazin. La caméra doit trouver sa place dans cet univers de déambulations. La caméra est en tremblement constant, l'artifice qui fait le cinéma de fiction n'a pas prise sur ce cinéma ci. Elle tente de s'immiscer dans la vie des personnages, mais ce n'est pas facile. D'autres fois, l'image flou car le personnage passe trop près de la caméra. On sent la caméra, elle passe pas la barrière quand Rosetta échappe à Riquet sur son scooter. Ils ne cherchent pas à faire une belle image, mais à rendre compte de leur réel.

Nous pouvons conclure sur le fait que les frères Dardenne créent un univers réel dans laquelle ils insèrent la caméra psychologique, moteur de la fiction. Il est très difficile de filmer le moment tout en donnant l'impression que ça se passe comme dans la réalité tout en le mettant en scène. C'est le défi des Dardenne. La caméra est une caméra de documentaire mais aussi une caméra de fiction :
elle est documentaire car elle est portée à l'épaule et est placée dans un univers proche du réel et doit trouver sa place, comparé au cinéma de fiction classique ou les éléments sont organisés dans le cadre. Elle est également fiction car la psychologie des personnages filmés est mise en scène par une valeur de cadre, une distance et une durée propre à un langage cinématographique.

Les frères Dardenne font partis de quelques irréductibles de la caméra portée, contre la steady-cam. D'autres réalisateurs ont montré la grande puissance de la caméra portée comme Ken Loach, vétéran de cette tendance, Paul Greengrass, qui l'incorpore dans son cinéma d'action (les Jason Bourne), et la réalisatrice Andrea Arnold qui a fait récemment Fish Tank qui reçu beaucoup de prix.

Spoiler

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Les fresques en spoiler.

Edité par DoTT le 15/04/2012 - 08:33
Portrait de art36cm
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Re: Les frères Dardenne : La caméra psychologique dans le réel

Okay

Portrait de Mad Max
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A rejoint: 28 février 2012
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Re: Les frères Dardenne : La caméra psychologique dans le réel

Je n'ai jamais vu un seul film des Dardenne donc je ne me prononcerai pas (Oups c'est déjà fait, j'ai posté !)

Je pense tout de même que ce Topic a sa place (bien joué DoTT !!). Après, j'ai toujours trouvé leurs sujets pesant voire carrément totalement chiants et pédants tant qu'on y est.
En gros, ca va être dur de me convaincre.

Portrait de DoTT
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A rejoint: 1 septembre 2011
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Re: Les frères Dardenne : La caméra psychologique dans le réel

C'est très dur à voir. non non c'est pas pédant. ça marche bien je trouve. Je te conseille le dernier (à moins que tu sois allergique à Cécile de France). Il fut juste comprendre qu'ils ont une méthode particulière pour faire leur film. Cet article parle de cette méthode (une partie).

Le OKAY là, en fait, c’était pour remonter le topic ou ?

Portrait de Mad Max
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A rejoint: 28 février 2012
Contributions: 7608
Re: Les frères Dardenne : La caméra psychologique dans le réel

Citation:
Je te conseille le dernier (à moins que tu sois allergique à Cécile de France)

Pas spécialement, juste pour les gosses à vélo j'ai des envie de meurtre... Alors 'Les Choristes' je te raconte pas c'est noyade collective (AHAHAH !!)

Merci pour tes précieux conseils qui rendront leurs films plus accessibles.

Edité par Mad Max le 19/04/2012 - 19:44
Portrait de DoTT
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A rejoint: 1 septembre 2011
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Re: Les frères Dardenne : La caméra psychologique dans le réel

J'ai posté cet article justement pour faire connaitre leur cinéma à ceux et celles qui ne connaissaient peut être pas.

Portrait de art36cm
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A rejoint: 10 mars 2012
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Re: Les frères Dardenne : La caméra psychologique dans le réel

Le okay c'était pour up oui

Portrait de DoTT
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A rejoint: 1 septembre 2011
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Re: Les frères Dardenne : La caméra psychologique dans le réel

ok merci !