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Le jeu vidéo, un jeu?

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Le jeu vidéo, un jeu?

Le titre fait évidemment référence au topic : "Le jeu vidéo, un art?". Je voulais réagir à ce sujet mais j'en suis finalement venu à la question du jeu vidéo en tant que jeu, et en partant du postulat que le jeu vidéo est un jeu comme un autre, je met en question cette affirmation. J'évoque aussi la question de la subjectivité quand on parle d'un jeu vidéo et du regard que porte la société sur le jeu en général puis spécifiquement le jeu vidéo.
Vous pouvez réagir sur ces questions sans avoir tout lu, merci en tout cas à ceux qui auront le courage de lire tout mon pavé.

Pour définir un jeu, je dirai qu'il s'agit d'un ensemble de règles et de ses supports (que ce soit des cartes, une balle... ou un support vidéo) qui donnent au joueur un cadre à investir, à s'approprier. Il s'envisage comme un espace à conquérir. De ce fait, le propre du jeu est de ne s'exprimer véritablement qu'à travers l’expérience du joueur, il se réalise et se forme à partir du moment où il est pratiqué. En regardant par exemple un speed run de Super Meat Boy, puis dans la foulée l'épopée du Hooper sur ce même jeu, on peut en effet constater à quel point l’expérience vécue peut être variable d'un joueur à l'autre.

On touche ici selon moi à ce qui distingue le jeu (vidéo ou non) de ce qu'on appelle une oeuvre d'art au sens "classique". Une oeuvre est ce que son créateur en fait : en allant voir un film, en écoutant une musique, nous n'intervenons pas sur sa substance; si l'oeuvre agit sur nous et que nous réagissons différemment les uns des autres, il n'y a pas pour autant interaction. Le joueur, lui, va modeler le jeu à partir des règles. Ainsi, dans le cas d'une pièce de théâtre, on distingue l'oeuvre (la pièce en général) de sa représentation qui, elle, est à chaque fois unique et qui dépend du jeu des acteurs. Le joueur est semblable à l'acteur, pas au spectateur.

Cette distinction implique qu'on ne peut pas parler d'un jeu vidéo auquel on vient de jouer comme d'un film qu'on vient de voir. Il faut distinguer le jeu en soi (les règles et les supports) du jeu pour soi (l’expérience que j'en fait). Difficile dès lors de sortir d'une totale subjectivité, notre avis sur un jeu portant plutôt sur notre expérience particulière. On peut néanmoins en prendre conscience, et du recul sur sa propre expérience pour s'interroger sur le potentiel du jeu, être critique sur la manière dont on a joué, imaginer les possibilités qu'il offre et qu'on n'aurait pas exploré... Par exemple, j'ai adoré Pokemon rouge à l'époque (j'aimais l'univers, je découvrais le JRPG...), depuis j'ai essayé d'autres jeux de la licence mais je n'ai jamais retrouvé ce plaisir (je les trouve répétitifs, trop enfantins...). Pourtant je dois reconnaître que les jeux se sont enrichis niveau gameplay, qualités artistiques... Alors je peux penser que si j'avais commencé la série avec un épisode plus récent mon avis serait peut être différent. Il n'empêche que je préfère toujours Pokemon rouge. Et il serait absurde de vouloir se défaire de sa propre expérience lorsqu'on parle d'un jeu, chercher à tout pris objectiver est une erreur. De même, il faut accepter la nostalgie comme un élément légitime de son jugement. Le jeu ne prend sens que s'il est joué, le joueur est donc un élément constitutif du jeu et ne peut se mettre complètement à distance.

Si le jeu se distingue du concept d'oeuvre d'art, il n'est pas question de hiérarchiser l'oeuvre d'art du jeu, ni de nier le talent nécessaire à la réalisation d'un bon jeu vidéo, et ceux-ci font néanmoins l'objet d' un réel travail artistique. Ce travail s'exprime sur les règles et sur le support, de manières tout à fait différentes.

Les règles consistent à déterminer des objectifs à atteindre (le but du jeu) et les contraintes pour y arriver; et à partir de là, permettre au(x) joueur(s) de créer son/leur propre récit. Imaginons que le jeu nous dise d' aller d'un point A au point B : il nous dit ce que l'on peut faire (sauter, courir, voler, utiliser tel objet...) ou ne pas faire (tomber dans un trou, se faire tuer par un ennemi...); ensuite libre au joueur de raconter par le gameplay, la manière dont le jeu lui permet de mettre en pratique les règles, comment il va atteindre l'objectif. C'est là toute la spécificité du créateur de jeu, il ne s'agit pas de remplir un espace (ce que fait le musicien, le cinéaste...), mais de créer des espaces vides que le joueur va remplir, comme dans les dessins à colorier pour enfant, il va dessiner les contours.

Ce qui rassemble les jeux vidéo, c'est qu'ils utilisent chacun à leur manière le même support, c'est à dire la vidéo justement. Autrement dit c'est ce que le jeu donne à voir et à entendre au joueur. Le travail sur le son et l'image constitue l'habillage du jeu (son identité esthétique) et ce qui permet l'interaction, en informant le joueur sur les règles et en accompagnant le gameplay. Il vient également parfois suppléer au gameplay afin d'approfondir le récit (à travers des textes, des cinématiques...). La vidéo propose donc un autre récit, qui vient accompagner celui du joueur (une musique de fin de niveau par exemple...) ou se rajouter par dessus (le background...).

Les rapports qu'entretiennent ces deux dimensions (règles et support) sont un moyen d'analyser l'évolution des jeux vidéo.
Tetris, par exemple, est un jeu dont l'identité est réductible à ses règles, et donc au gameplay. Autrement dit, on peut modifier l'habillage sonore et visuel du jeu, y ajouter une histoire, des cinématiques... si on ne modifie pas les règles, les mécaniques du jeu... alors le jeu reste un Tetris.

Dans Donkey Kong (arcade), l'esthétique du jeu est déjà beaucoup plus importante. En effet le jeu ne serait plus tout à fait identifiable si on remplaçait Donkey ou Mario (jumpman). On ajoute également un récit en dehors du gameplay au début du jeu, nous expliquant qu'il faut sauver une jeune fille enlevée par un gorille. Si tout cela ajoute indéniablement au charme du jeu (ajoutant un enjeu émotionnel) et a pu participer à son succès, l'essentiel de l'intérêt reste néanmoins dans le récit que se fait le joueur, c'est à dire la manière dont il va grimper au sommet des niveaux et toutes les péripéties que cela engendre (quelle échelle prendre, attendre le bon moment, reculer, sauter,utiliser le marteau...).

L'amélioration des performances techniques des consoles a permis de créer des jeux plus longs, plus de possibilités sonores et visuelles, avec de ce fait des scénarios plus élaborés, venant imposer le jeu non plus simplement en tant que jeu mais également en tant qu'oeuvre d'auteur. Prenons le cas de Final Fantasy 7, plus particulièrement d'un moment qui a marqué beaucoup de joueurs, la mort d'Aeris. Cet événement qui marque un tournant majeur dans le jeu vient briser une règle fondamentale, à savoir que le fait d'avancer vers la fin du jeu, de bien jouer en suivant les règles, amène a être récompensé ou à poursuivre sa progression normalement. Or ici, la progression normale est sanctionnée par une perte, un sentiment d'échec. La mise en scène artistique vient prendre le pas au récit du joueur et à la règle du jeu. Et ceci est accepté par le joueur justement car il n'est plus joueur, mais spectateur impuissant de la scène, la cinématique intervenant comme une manière de dire : attention, on ne joue plus ! Cette mort est également acceptée car elle est exceptionnelle, et si un de nos alliés venait à mourir toutes les 10 minutes alors qu'on joue bien, le joueur ne pourrait plus faire confiance au jeu qui n'aurait alors plus de sens.

Et c'est la question qui se pose dès lors aux jeux vidéo : comment faire coexister cette double ambition apparemment incompatible d'être à la fois un jeu, c'est à dire permettre au joueur de construire son propre récit en s'appropriant les règles, et en même temps une oeuvre d'art qui développe un scénario riche et original? Et comment ne pas recourir à une narration qui s'impose au joueur dès lors qu'on veut exprimer un univers complexes, des questions profondes? La cinématique apparaît alors comme un aveu d'impuissance du jeu vidéo à exprimer le récit dans son propre langage, d'où le recours au cinéma... Ou n'est-ce pas au contraire le problème de vouloir insérer un récit cinématographique dans un jeu? Le jeu vidéo affirme en tout cas de plus en plus sa prétention à être cet objet hybride mi-jeu, mi-oeuvre d'art. Et la réussite est parfois plus que discutable, avec des QTE sans intérêt et des cinématiques hollywoodiennes formatées au service d'un scénario complètement creux. D'autres en revanche y arrivent plutôt bien.

On peut citer comme exemple Morrowind, qui propose une histoire très riche ainsi que des questionnements métaphysiques, mais tout ceci est amené subtilement et ne s'impose pas au joueur. L'histoire se dévoile selon la curiosité du joueur d'en apprendre plus, en poussant les dialogues, en lisant les livres... et cela s'intègre tout à fait au background et au gameplay du jeu. On peut également citer les GTA (la technique "sandbox"). Si le scénario principal s'impose parfois de façon dirigiste, le nombre important de quêtes secondaires qu'on peut effectuer dans l'ordre qu'on veut permet de se réapproprier le jeu. Un jeu comme Binding of Isaac procède par indices qui parsèment le jeu et racontent une histoire en suivant la progression du joueur et en s’intégrant au gameplay. A peu près tout fait sens par rapport au scénario (les ennemis, les armes...) qui démontre sa profondeur au fil des parties. Et on pourrait en citer bien d'autres (Braid, bioshock...) qui à leur façon atteignent une vraie profondeur scénaristique tout en laissant le joueur au devant de la scène.

D'autres jeux font le choix tout aussi justifiable de ne privilégier qu'un des deux aspects. C'est le cas notamment des jeux de David Cage, dont l'identité est presque exclusivement réductible au support vidéo, les règles et le gameplay étant simplement des outils au service d'une mise en scène. On ne sait plus vraiment alors si on peut parler de jeu ou de film interactif. Au delà de ces jeux emblématiques (Beyond two souls...), c'est une réelle tendance de vouloir copier les codes du cinéma hollywoodien avec des jeux très scriptés, beaucoup de cinématiques, des bandes annonces... Il serait d'ailleurs intéressant de faire un parallèle avec des films récents qui se rapprochent eux du concept de jeu (Inception...) L'exemple-type étant Matrix, qui multiplie les indices aux spectateurs, qu'il faut reconstituer à la manière d'un puzzle pour y trouver un sens. Ce qui importe n'est plus seulement le film en tant qu'objet cinématographique, mais le jeu d'interprétation des indices (le spectateur devenant, à travers les espaces laissés par le réalisateur, le joueur réalisant son propre film tel qu'il le conçoit).

Certains jeux font le choix totalement inverse, le scénario est rendu accessoire voire inexistant au profit du gameplay, d'un rapport plus direct du joueur aux règles du jeu. c'est bien souvent le cas des jeux de plateforme, vs fighting... ou bien sûr Minecraft. Il est difficile de parler de ces jeux objectivement tant leur valeur dépend de l'implication du joueur lui-même. Et dans les discours de plus en plus nombreux ayant vocation à créer une légitimité autour du jeu vidéo (plus en tant qu'objet d'étude qu'en tant que pratique) ces jeux sont bien souvent ignorés, volontairement ou non. Ces discours se basent d'ailleurs bien souvent sur le même type d'exemple, à savoir le genre de jeu qui propose un univers profond, un discours politique en arrière plan (Bioshock...). C'est à mon avis un très bon jeu et cet élément est indéniablement constitutif de la qualité du jeu... Mais qu'en est-il alors du joueur de Puyo Puyo ou de Street Fighter? Du joueur qui s’entraîne à Starcraft 2 tous les soirs pour sa prochaine compétition, du speedruner qui cherche à atteindre une maîtrise parfaite de son jeu... Il me semble que ces pratiques sont totalement déconsidérées dans les discours théoriques. Car ces pratiques relèvent bien plus de la pratique pure du jeu, du plaisir que procure en soi le fait de jouer (ce moment ou le joueur est joueur et n'est plus que cela pour lui même dans un ailleurs vidéo-ludique). Pour citer Roger Caillois : "le jeu est condamné à ne rien fonder ni produire, car il est dans son essence d'annuler ses résultats". En effet, une fois que la partie est finie, il ne reste plus rien, et c'est bien ce qu'on lui reproche. Alors on se raccroche pour défendre le jeu au message qu'il porte et à ses qualités artistiques, au travail d'auteur, bref, à quelque chose d'objectivant, de palpable, et qui reste. On nous apprend que le jeu doit être utile à autre chose sinon il est dangereux, il doit être un moyen d'apprendre, développer le corps, l'esprit, la sociabilité... (bien souvent, Adibou est le seul jeu vidéo toléré dans une salle de classe). La reconnaissance du jeu vidéo en tant qu'art est de ce fait souvent souhaité par les "milieux" même du jeu vidéo dont les joueurs. Une activité aussi déconsidérée dans la société doit se raccrocher à autre chose que ce qu'elle est fondamentalement. Jouer c'est prendre possession d' un autre monde, exprimer sa liberté dans cet ailleurs par la maîtrise de ses règles, et repousser ses limites. Le plaisir de jouer pour jouer est néanmoins accepté dans certains rares cas comme les échecs (le jeu "noble") ou les sports populaires (les jeux marchands).

Les jeux vidéo qui fédèrent le plus actuellement et parviennent à acquérir un grand succès auprès des joueurs sont des jeux qui semblent avoir réussi à maîtriser et combiner les deux approches : une réalisation artistique et un gameplay réussi, comme Dark souls. Un jeu ayant une approche uniquement basée sur le récit du joueur comme Minecraft, ou au contraire sur le récit de l'auteur (Beyond) sera souvent décrié car il lui manquerait l'autre facette. Mais il n'y pas pour autant à établir un modèle du bon jeu.
La question reste de savoir si le support vidéo est au service de l’expérience que se construit le joueur en s'appropriant le jeu, ou si les actions du joueur sont au service du spectacle qu'offre le jeu (sa réalisation vidéo). Autrement dit est-ce qu'on s'accapare le jeu, ou est-ce le jeu qui nous accapare. Et peut-on encore parler de jeu quand celui-ci continue à faire sens sans le joueur, quand on devient spectateur d'une oeuvre?

Edité par superquick le 12/04/2014 - 18:24

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Re: Le jeu vidéo, un jeu?

Dit moi, superquick, tu ne connaîtrais pas un certain Monsieur Bobine, par le plus grand hasard ?

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Re: Le jeu vidéo, un jeu?

Alors non, jamais entendu parler.
Sinon j'arrive pas à éditer mon post pour en faire un truc moins indigeste visuellement.

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Re: Le jeu vidéo, un jeu?

En attendant de trouver quoi répondre, je peux t'applaudir et copier tout ce magnifique texte dans un coin de mon presse-papier ?

Tout est tellement bien dit et présenté !

Edité par leroiducouscous le 12/04/2014 - 19:06

Joueur de 29 ans,
Fan de Zelda, de RPG, de Pokémon et de Plate-formes

Stages Mario Maker dont je suis fier:
Let's do Teamwork - 187D-0000-00B7-37FB
The Secret World - 1E4A-0000-00A4-151E

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Re: Le jeu vidéo, un jeu?

Je vois pas trop non plus, mais peut-être des image qui appuis ce que tu explique rendront le texte moins lourd, c'est possible.

Ou alors, tu mets des images de chatons, tout le monde aime les chatons.

un lien vers son analyse sur matrix.

Edité par question le 12/04/2014 - 18:54
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A rejoint: 11 novembre 2011
Contributions: 119
Re: Le jeu vidéo, un jeu?

question : quand je dis que j'arrive pas à éditer, c'est pas que j'ai pas d'idée, mais que les modifications ne sont pas enregistrées quand je rajoute des espaces, des alinéas...

edit : sinon ce que je dis sur Matrix ça ne vient pas que de moi, il y a tellement d'analyses sur ce film, notamment sur le rapport au spectateur qu'il met en place.

Et oui, on peut copier, diffuser ce que j'ai écrit, pas de problèmes.

Edité par superquick le 12/04/2014 - 19:24

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A rejoint: 2 février 2012
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Re: Le jeu vidéo, un jeu?

Tu ne peux pas mettre d'alinéa dans un script pareil. à moins que...

Non, rien à faire, cela ne fonctionne guère.

Edité par question le 12/04/2014 - 19:04
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Re: Le jeu vidéo, un jeu?

Alors déjà, je tiens vraiment à te re-féliciter superquick pour cette magnifique dissertation sur le sens du mot "jeu" et l'acte de jouer, car elle contient tout ce que je cherchais - en vain - à exprimer pour moi-même à ce sujet depuis des années. Or je n'ai jamais été super bon en philo et pour ce qui est d'organiser des idées.
Tes propos sont à la fois précis, détaillés, sonnent particulièrement justes et sont en plus faciles à lire et aérés !
Vraiment, ce genre de chose m'impressionne énormément ! Je n'aurais jamais pu, je crois, faire aussi bien.
Là, je considère très clairement avoir affaire à l'une des meilleurs réflexions posées par écrit qu'il m'est été donné de voir ! (C'est presque un comble qu'on ne trouve ce texte "que" sur un forum, même si c'est justement en grande partie pour trouver ce genre de chose que je suis venu ici à la base. ^^)

Sur ce, passons aux réactions sur le contenu.

Comme tu le soulignes, le jeu "pur" souffre depuis la nuit des temps d'un manque de considération dans la plupart des sociétés, car contrairement à la création d'oeuvres d'art qui sont amenées à durer et à montrer aux générations futures ce que l'humanité peut produire de plus "grand", ou au travail qui crée de manière directe et concrète les biens nécessaires à notre survie, la nature même d'un jeu est d'être une activité qui n'apporte QUE au(x) joueur(s) qui la pratique (car elle n'existe qu'à travers lui/eux), qui ne produit rien, et qui de plus ne semble pas indispensable au premier abord.
De ce fait, jouer peut donc être vu comme une activité quelque peu égoïste, ou mal-venue, surtout si elle est pratiquée par des adultes.

Mais en parallèle de ça, il s'agit d'une notion particulièrement complexe à définir, malgré le fait qu'elle existe probablement depuis que la préhistoire ! D'après mes recherches, pas mal de philosophes ont essayé de définir clairement le mot "jeu" et s'y sont un peu cassé les dents...
(Mais la définition que tu as donnée toi superquick, elle est assez "whaou" je trouve ! ^^)

Du coup, le cumul de ces deux facteurs (complexe à définir + activité non productive de toute façon) fait que le mot "jeu" n'a toujours été utilisé que de manière subjective au final. Chacun y va de sa propre définition, ce que personnellement je trouve dommage, car il devient du coup difficile de se comprendre dès qu'on parle de jeu.
Mais en même temps, comment pourrait-il en être autrement quand on y pense, étant donné la nature même du jeu qui, à la base, le condamne à n'exister que pour la personne qui le pratique ?

En fait, à la lumière de ton texte, je me suis dit qu'une confusion était peut-être trop souvent faite à la base entre le "jeu" et "les règles du jeu". Par raccourci, on a fortement tendance à confondre les deux.
Après tout, l'activité consistant à créer des jeux pour les autres existe bel et bien dans l'esprit de beaucoup de gens. Quand Aleksei Pajitnov eut fini de créer Tetris, il venait bien de créer quelque chose de pérenne. Son jeu existait quelque part, même sans être pratiqué.
Où alors serait-il plus juste de dire que son invention n'étaient que "les règles du Tetris", pas "le jeu de Tetris", qui lui n'existe que dès lors qu'il est pratiqué, pour la personne qui le pratique ?

A ce compte là, même Super Mario Bros n'est pas vraiment un jeu en fait, mais plutôt un ensemble de règles destinées à créer un jeu pour la personne qui les aura entre les mains. Mais dès lors, comment désigner toute la création artistique d'images qu'il y a eu dessus ? Est-ce que cela fait parti du "jeu", ou pas ? Non si on s'en tient à la définition donnée, puisque ce "jeu" n'existe même pas encore lorsque la cartouche n'est encore qu'en rayon dans un magasin...

Il y a une vraie ambiguïté sur le sens du mot "jeu" aujourd'hui.
Est-ce uniquement une activité cérébrale évanescente particulière, ou est-il possible d'un produire un également ?

Edité par leroiducouscous le 15/04/2014 - 20:56

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Portrait de Oceanologue
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A rejoint: 1 septembre 2011
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Re: Le jeu vidéo, un jeu?

J'aurais bien voulu mettre en avant aussi le parallèle non pas entre le cinéma et le jeu vidéo, mais entre la littérature (fantastique s'il en est) et ce dernier !

Je t'ai trouvé un petit peu manichéen en affirmant que le gameplay sert d'un côté à personnaliser l'aventure, et de l'autre le scénario, la bande son, ou les environnements, qui constituent l'habillage du jeu vidéo. Si tu prends par exemple la série des Dragon Quest, celle ci limite légèrement les possibilités d'interaction directe entre le joueur et l'univers, tu ne pourras par exemple pas choisir de quoi parleras ton personnage à un PNJ, ni même partir où tu voudras dans le monde dès que cela te plaira.
Mais par contre, les développeurs ont fait en sorte de laisser des vides qui peuvent paraitre choquants des yeux d'un novice, mais qui ne sont ainsi que moult clés qui te permettront d'imaginer (comme dans un livre, et non personnaliser comme tu dis !) ton périple. Tu imagines toi même les conversations peu nombreuses que tes personnages auront entre eux ; les développeurs te laissent des brides de conversations plus ou moins nombreux selon les opus, pour orienter la personnalité de tes protagonistes, et c'est à toi d'imaginer ce qu'ils se racontent, leurs réactions, à chaque évènement, car les scénaristes ont eu le bon gout de laisser régulièrement des blancs !

Je pense pas que ça avancera grand monde, mais c'était juste pour dire que l'imaginaire, l'action interne de réflexion, a tout autant sa place dans la construction d'une aventure vidéo ludique que le gameplay, qui permet de concrètement modifier le déroulement de l'épopée.

"Souviens toi, quand la fleur de cerisier tombe, elle doit compter sur le vent pour répandre son pollen." - Kagenori Obata

Portrait de Themaziest
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Re: Le jeu vidéo, un jeu?

Citation:
Pour définir un jeu, je dirai qu'il s'agit d'un ensemble de règles et de ses supports (que ce soit des cartes, une balle... ou un support vidéo) qui donnent au joueur un cadre à investir, à s'approprier.

Et je dirais même parfois à s'inventer. Les règles sont déterminantes (et déterminées) dans la création d'un cadre qui nous est personnel. Tout s'exprime, comme tu le dis justement, à travers l'expérience de jeu.

Citation:
Alors je peux penser que si j'avais commencé la série avec un épisode plus récent mon avis serait peut être différent. Il n'empêche que je préfère toujours Pokemon rouge. Et il serait absurde de vouloir se défaire de sa propre expérience lorsqu'on parle d'un jeu, chercher à tout pris objectiver est une erreur. De même, il faut accepter la nostalgie comme un élément légitime de son jugement. Le jeu ne prend sens que s'il est joué, le joueur est donc un élément constitutif du jeu et ne peut se mettre complètement à distance.

Rien à redire, je suis bien d'accord, la nostalgie est un principe indissociable du jugement qu'il faut réellement avoir assimilé pour s'essayer à la critique d'un jeu vidéo. Un principe d'ailleurs mis à mal fréquemment pour des raisons obscures.

Citation:
C'est là toute la spécificité du créateur de jeu, il ne s'agit pas de remplir un espace (ce que fait le musicien, le cinéaste...), mais de créer des espaces vides que le joueur va remplir, comme dans les dessins à colorier pour enfant, il va dessiner les contours.

Exactement.

Citation:
La cinématique apparaît alors comme un aveu d'impuissance du jeu vidéo à exprimer le récit dans son propre langage, d'où le recours au cinéma... Ou n'est-ce pas au contraire le problème de vouloir insérer un récit cinématographique dans un jeu? Le jeu vidéo affirme en tout cas de plus en plus sa prétention à être cet objet hybride mi-jeu, mi-oeuvre d'art. Et la réussite est parfois plus que discutable, avec des QTE sans intérêt et des cinématiques hollywoodiennes formatées au service d'un scénario complètement creux. D'autres en revanche y arrivent plutôt bien.

Pas sûr que les jeux bourrés de QTE et dont le vide narratif se voit comblé par des cinématiques hollywoodiennes formatées soient les mêmes jeux qui se proclament oeuvres d'art. Ils se réclament pourtant du jeu, ce qui est donc à remettre en cause pour leur ambiguïté. Quoiqu'il en soit, la cinématique n'est pas qu'un aveu d'impuissance, elle est aussi et avant tout une sacrée cassure dans l'expérience d'un joueur... le passif avant l'actif.

J'allais venir avec mes gros sabots parler des films interactifs de David Cage, mais tu ne laisses décidément rien de côté.

Citation:
L'exemple-type étant Matrix, qui multiplie les indices aux spectateurs, qu'il faut reconstituer à la manière d'un puzzle pour y trouver un sens.

Je t'aime ! Oups... oui c'est à se demander si Matrix n'est pas plus un jeu que Beyond two souls. L'interprétation du spectateur est le seul élément qui peut le rendre acteur dans l'oeuvre cinématographique. Mais le jeu est-il encore un jeu s'il se contente d'utiliser une narration qui ne lui est pas propre et dont les mécaniques de gameplay ne servent qu'à décorer l'action ?

Citer Roger Caillois n'est peut être pas impératif pour se rendre compte du retard de la société sur l'interrogation du jeu en tant que pratique légitime et plus globalement art à part entière, car oui le jeu ne produit fondamentalement rien. Les mentalités sont entrain d'évoluer, je dirai même qu'elles ont déjà évolué : est-ce honteux de maîtriser les subtilités d'un jeu de baston ou apprendre à speedrunner en 2014 ? Leroiducouscous a très bien rebondi sur ce sujet de la pratique pour la pratique.

Je ne vais donc pas réagir sur l'avant-dernier paragraphe qui donne plus de réponses qu'il ne pose de questions pour m'intéresser à la problématique finale et tout aussi complexe :

Citation:
Autrement dit, est-ce qu'on s'accapare le jeu, ou est-ce le jeu qui nous accapare. Et peut-on encore parler de jeu quand celui-ci continue à faire sens sans le joueur, quand on devient spectateur d'une oeuvre?

En bref, le jeu est-il encore jeu lorsque le joueur se trouve être plus spectateur qu'acteur. C'est une question rhétorique je pense, car la solution du problème est sans appel : le jeu se justifie, se légitimise, se créé, s'invente par le joueur. S'il n'est que spectateur, alors le jeu perd de sa substance en devenant un simple bâtard du cinéma et dont la narration se trouve perdue entre deux médias pourtant bien distincts. Mais c'est un exercice stylistique nouveau qui dispose de ses propres codes.

Aussi... un film existe t-il sans spectateur ? Un livre sans lecteur ? On dit souvent que le public fait l'oeuvre, plus que l'auteur lui-même. C'est à moitié vrai.

Edité par Themaziest le 17/04/2014 - 02:18

ざわ... ざわ...


Go, Go, Golden Rob1 Q!
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Re: Le jeu vidéo, un jeu?

Whaaaa... GG superquick Oo Je te fais les mêmes compliments que Leroiducouscous a pu te faire, c'est vraiment une réflexion dense, mais parfaitement compréhensible et illustrée.

Pour l'instant, j'aurais qu'une chose sur laquelle je voudrais revenir. Il me semble que tu parle du cinéma (et d'autres médias comme la littérature) comme s'ils permettaient à leur auteur de livrer une expérience fixe, déterminée : en gros que l'auteur pourrait parfaitement définir l'expérience du spectateur. Et c'est là que je suis en désaccord, je pense que l'auteur de films (ou livres, ou musiques, etc., vous m'avez compris), fournit comme l'auteur de jeux vidéo, un "cadre" propice à une expérience. Il pourra choisir de transmettre telles ou telles émotions à tels moments, de transmettre telles ou telles idées à tels moments etc. Toujours est-il qu'au final, c'est le spectateur qui va recevoir et interpréter ces informations à sa sauce : le spectateur qui entrera dans l’œuvre la vivra à sa façon (et heureusement, c'est bien pour ça qu'on a tous des avis différents sur les œuvres), avec les limites du "cadre" que l'auteur aura défini bien sûr. Je pense que pour les jeux vidéo, c'est un peu la même chose, sauf que dans le "cadre" de l'expérience s'ajoute une composante supplémentaire avec laquelle l'auteur doit se débrouiller: le gameplay. Et je pense que cette composante est aujourd'hui encore mal connue, on a sans doute encore du mal à se dire qu'à tel moment du jeu, si on modifie le gameplay de telle façon, l'expérience va en être modifiée de telle sorte. Alors qu'au cinéma, on connait assez bien les effets de la mise en scène sur le spectateur. Je pense qu'avec le temps, les connaissances sur le gameplay vont s'accroitre et tout ça va se théoriser (c'est déjà le cas), ce qui fait que l'auteur de jeux vidéo pourra définir le "cadre" de l'expérience bien plus précisément qu'actuellement, à la manière d'un réalisateur de film, qu'un écrivain etc.